Nous y sommes ! Le deuxième chapitre du Sang de Delphine.
Si jamais vous n’avez pas lu le premier chapitre, cela ce passe ici.
J’espère que cette suite vous plaira. Si c’est le cas n’hésitez pas à aimer (les petites mains qui applaudissent), à partager et à commenter. J’ai hâte d’avoir vos retour.
Et à la semaine prochaine pour le chapitre 3 !
Bonne lecture.
Le sang de Delphine – Chapitre 2
– Ta mère ? Mais je croyais qu’elle était chez les fous et qu’elle ne parlait pas ?
– Moi aussi.
Delphine commença à paniquer. Elle attrapa un sac et se mit à le remplir.
– Qu’est-ce que tu fais ?
– Je prépare nos affaires.
– Où on va ?
– Chez ma mère. Quelque chose ne va pas.
– Et le lycée ?
– Je les appellerai. Tu restes avec moi. Il est hors de question que je te laisse toute seule à la merci de… une adolescente ne peut pas s’occuper d’elle seule.
– Pourquoi tu ne me dis pas ce qui t’angoisse ?
Delphine marqua une pause. Elle se tourna vers Amandine et reprit le plus calmement possible.
– Je suis partie il y a vingt ans maintenant. Quelques semaines plus tard, ma mère s’est murée dans le mutisme. Elle est depuis hospitalisée. Vingt ans. Vingt ans qu’elle ne dit rien, qu’elle est enfermée au CHS et aujourd’hui, elle me téléphone et me demande de rentrer. Qu’est-ce que tu ferais à ma place ?
– Je serais restée avec toi.
Delphine se renfrogna.
– Tu ne sais pas comment c’était. J’ai pas eu le choix.
– Pourquoi tu ne me racontes pas ?
Silence.
– Fais ton sac, on s’en va.
En réalité, Delphine aurait été bien incapable de raconter quoi que ce soit à sa fille. Les quelques souvenirs qu’elle avait de sa vie d’avant étaient brumeux. Elle en gardait surtout les sentiments qu’elle avait ressenti, l’insécurité permanente qui a elle seule était suffisante pour la garder loin de cette maison. Et cet homme, le copain de sa mère. Le concernant, lorsqu’elle essayait de revoir un souvenir ou même son visage, c’était le blackout. Elle en avait parlé à des psys et tous avaient eu la même réponse : « Ce n’est pas pour rien. Votre cerveau vous protège. ». Oui, mais de quoi ? N’était-ce pas plus simple qu’elle se souvienne pour que ça ne lui arrive pas de nouveau ?
Amandine ferma ses cahiers et partit préparer son sac.
– Je prends pour combien de jours ?
– Aucune idée, prends au moins deux semaines et on fera des lessives.
– Et mon bac de français ?
– Ecoute, je gèrerai ça en temps et en heure. Pour l’instant, contente toi d’obéir.
Delphine n’était jamais aussi stricte avec Amandine. Les deux en furent surprises. L’heure était vraiment grave.
Elles remplirent la voiture à craquer, accrochèrent les vélos au porte bagage et montèrent en voiture.
– Je vais conduire de nuit. On discute jusqu’à ce que tu sois fatiguée. Après tu dormiras.
– Et toi ?
– Si je suis trop fatiguée, je m’arrêterai au bord de la route et je dormirai quelques instants.
Amandine n’aimait pas beaucoup ça, mais elle voyait bien qu’elle n’avait pas le choix. Depuis toujours elle vivait seule avec sa mère. C’était elle qui l’avait portée, élevée, nourrie, bercée. Elle lui devait tout. Alors, lorsqu’elle la vit vraiment paniquer, elle accepta volontiers tout ce que sa mère désirait. Même si elle n’y comprenait rien. Même si elle trouvait cette expédition folle. Même si elle ne voulait pas aller à Nouméa à trois heures de route.
Au début, le silence régnait dans la voiture. Aucune d’elle ne savait comment entamer une conversation avec ce qui planait au-dessus de leur tête. Ce fut Delphine qui brisa le silence.
– Au final, tu as terminé tes exercices ?
– Il m’en restait un.
– Oh, ce n’est que partie remise. Et maintenant, ça ne presse plus.
– Pourquoi on s’en va en pleine nuit ? Ça pouvait pas attendre demain ?
– Tu comprends pas !
– Non, je ne comprends pas. Ta mère t’appelle après vingt ans sans nouvelles et tu sautes dans la voiture. Tu envoies valdinguer le travail, le lycée, notre vie, juste parce qu’elle t’a sifflée. Je ne comprends pas pourquoi.
– Ma mère muette, tu veux dire.
– Non, elle ne l’est pas. Et je pense qu’elle t’a bien menée en bateau toutes ces années.
– Je suis sûre que non. Tu ne la connais pas. C’est une femme fragile.
Amandine voulu renchérir. Elle voulut s’énerver. Mais elle n’avait jamais vu sa mère dans cet état. Alors, elle se calma. Un silence lourd pesa encore dans la voiture. Elles sortirent du village. Amandine regardait par la fenêtre. Les vaches étaient rentrées. Elles dormaient sûrement, les veinardes. Les champs de brousse s’étendaient à perte de vue où que l’œil se portait. Delphine se concentrait sur la route en piteux état, essayant vainement de contourner les nids de poule. Au bout de quelques kilomètres, Amandine trouva un nouveau sujet de conversation :
– J’ai faim.
Aussitôt, Delphine mit son clignotant pour s’arrêter dans le village le plus proche. Elles descendirent à une station-service et achetèrent des sandwichs de la veille et des cochonneries. De retour en voiture, Amandine demanda :
– Tu m’as jamais parlé de ton père.
– Je l’ai jamais vu. Ma mère s’est occupée seule de moi, comme moi avec toi. Un jour, elle a eu un compagnon. Je l’aimais pas beaucoup. Il l’a quittée un peu après que je sois partie, c’est ce qu’ils m’ont dit quand ils m’ont contacté après l’internement de ma mère.
– Pourquoi t’es partie ?
Elle essayait de se souvenir, mais tout ce qui lui venait, c’était l’angoisse. Son cœur s’emballa, mais elle tenta de se contenir autant qu’elle put pour ne pas inquiéter sa fille, qui n’était pas dupe.
– Je supportais plus l’ambiance à la maison. J’avais besoin de respirer. J’ai fait pas mal de petits boulots avant de tomber enceinte de toi. Quand ton père est parti, j’ai cru que je ne m’en sortirais pas. Et puis j’ai trouvé ce job. C’était une aubaine. Il fallait que je tienne le coup, pour toi.
Amandine se pencha et fit un câlin au bras de sa mère. Un panneau au bord de la route attira l’œil de Delphine, qui soulagée, enclencha son clignotant et prit une sortie. Au bout de deux kilomètres, elle s’arrêta devant un gîte.
– Je vais voir s’ils ont de la place pour ce soir.
Heureusement pour elle, ils en avaient. Delphine loua un bungalow et les deux jeunes femmes s’installèrent pour la nuit. La petite case où elles avaient élu domicile pour un soir était cosy. La pièce principale contenait un bureau, un lit deux places et une télé qui n’avait que deux chaines. Une porte donnait sur une petite salle de bain. Après avoir pris sa douche, Delphine trouva Amandine en train de terminer ses devoirs, attablée sur le bureau.
– Tu fais vraiment ça maintenant ?
– Ça m’occupe.
– Je te demande pardon de te faire ça.
– Je sais que si tu le fais, c’est que tu n’as pas le choix.
Mère et fille s’enlacèrent. Elles allaient encore dormir dans le même lit, mais cela leur était égal. C’était même réconfortant pour elles. Dans cette ambiance lourde, pouvoir être ensembles leur était indispensable.
La nuit fut longue. Aucune d’elle n’arrivait à trouver le sommeil, malgré la fatigue, mais faisait le moins de bruit possible pour ne pas réveiller l’autre. Leurs cerveaux étaient en ébullition, en alerte. Au matin, elles avaient accumulé quelques heures de sommeil et leurs cernes avaient pris du volume.
Elles reprirent la route après avoir avalé un croissant trouvé dans la boulangerie du village.
– Où habite ta mère ?
– Au faubourg blanchot. Je ne sais pas si elle est sortie du CHS. On va aller chez elle, et si elle n’y est pas, on ira à l’hôpital psychiatrique.
– Tu as les clefs ?
– Si elle n’a pas changé les serrures, ça devrait le faire.
Delphine sortit de sa poche un vieux trousseau sur lequel il y avait une seule clef et trois porte-clefs volumineux : Une chaussure, son initiale dans du plexiglass et une plume en métal. Amandine attrapa le trousseau et observa à tour de rôle les trois porte-clefs.
– Au moins, tu es sûre de ne pas la perdre, ta clef.
– C’était l’idée, oui.
Les deux heures qui suivirent, elles écoutèrent la radio. Régulièrement, il fallait changer manuellement la fréquence pour retrouver un son optimal.
A neuf heures, Delphine gara la voiture devant un portail blanc, dans un quartier résidentiel où se mêlaient vieilles maisons coloniales et maisons dernier cris. C’était un quartier dit « de riches ». Toutes les habitations avaient des clôtures en béton pour garantir leur intimité. Elles descendirent. C’était une belle journée. Il faisait chaud et le soleil tapait fort. Amandine fut surprise de constater qu’il y avait moins d’oiseaux chantant ici que chez elle. Elles marchèrent sur un chemin en dalles. Une grande maison coloniale se dressa face à elles. Elle n’était pas très bien entretenue, signe qu’elle avait été vide pendant un long moment, pensa Delphine.
Elles montèrent les marches du porche. Delphine mit sa clef dans la serrure. Elle la tourna. Un cliquetis se fit entendre. La porte était ouverte.
Bravo à vous pour votre chapitre 2. Encore une fois, vous avez arrêté sur un morceau de suspens.