La balle jaune. J’imagine que ce titre ne vous évoque rien. C’est un exercice d’écriture que donne Bernard Werber dans sa Masterclasse. Il s’agit d’une technique pour tenir en halène le lecteur jusqu’à la chute, surprenante. C’est ce que j’ai essayé de faire dans l’histoire que je vous présente aujourd’hui.
J’espère que mon objectif est réussi et que cette histoire vous plaira. N’hésitez pas à me le dire.
Bonne lecture !
La balle jaune – Exercice d’écriture
Leurs mains s’entrelacèrent et leurs pieds se mirent à bouger au rythme de la musique. Les fronts collés et les yeux dans les yeux, ils s’envoyaient de l’amour par le regard. C’était ce soir qu’ils iraient au bout. Il deviendrait un homme et elle une femme dans le plus grand des secrets. Elle serait enfin sienne et ils seraient liés jusqu’à la fin des temps.
Il la fit tournoyer et elle revint dans ses bras, en profitant pour coller ses lèvres aux siennes. Et un baiser langoureux commença. Leurs pieds s’arrêtèrent. Ils se décolèrent juste le temps de se dire par le regard qu’ils avaient besoin de plus d’intimité. Ils partirent en courant, main dans la main.
Arrivés dans la maison vidée de ses parents, ils se déshabillèrent sur le chemin qui menait à la chambre. Et à la faveur de l’obscurité, ils mirent en action leurs ébats.
Charlène se réveilla en sursaut. Encore ce rêve ! Sous sa main, posée sur son ventre, une bosse était venue se blottir. Elle se leva et tenta de mettre un jeans qui semblait avoir rétréci. Elle prit alors une robe empire qui ne dévoilait pas trop son ventre. Elle aurait aimé être plus prudente. Elle aurait aimé être plus maline. Mais elle avait été insouciante comme les jeunes le sont souvent. Pourquoi cette malédiction était-elle tombée sur elle ? Beaucoup de jeunes ne se protègent pas. Pourquoi avait-il fallu qu’elle attrape cette chose ?
Elle descendit au petit déjeuner. Ses parents étaient déjà partis. Une assiette l’attendait à sa place. Elle s’assit et mangea. Il valait mieux qu’elle soit seule. Elle éviterait leurs regards réprobateurs ou tristes d’avoir perdu leur petite fille.
Elle alla à la salle de bain se préparer. Elle passa une main dans les cheveux et se retrouva avec une touffe entre les doigts. Depuis toujours, elle avait les cheveux très épais et fournis qu’elle perdait en quantité chaque jour. On pouvait presque la suivre à la trace dans la maison. Cela avait le don d’agacer sa mère au plus haut point. Mais Charlène s’en fichait. Parfois même, par provocation, elle faisait exprès de passer ses mains dans ses cheveux et de laisser trainer sur le sol les cheveux pris au piège entre ses doigts. Elle enleva la touffe de la brosse. Elle constata avec étonnement, comme chaque matin, la quantité de cheveux. Puis elle porta son regard sur le miroir. Comment était son teint ? Terne. Avait-elle l’air fatiguée ? Elle se passa de la crème puis du fond de teint pour se donner l’air bien. Le paraître, c’était ce dont elle avait besoin. Elle devait se concentrer uniquement sur le paraître. Elle porta sa main à son ventre. Le paraître. Elle se mit de profil et observa ses formes. Cette robe était un bon trompe-l’œil. Si les gens ignoraient sa situation, ils ne pourraient rien deviner. Elle dessina ses sourcils quasiment absents avec un crayon. Elle pensa que peut-être elle pourrait aller s’en faire tatouer, ça lui éviterait d’avoir à le faire tous les matins. Un peu de parfum, et elle était prête.
Elle attrapa son sac et marcha jusqu’au lycée. Mais au lycée, la rumeur avait fait son œuvre. Les gens savaient. Ils la dévisageaient. Elle aperçut au loin le garçon de ses rêves. Elle lui fit un signe de main. Il regarda à travers elle. Comme si elle n’existait pas. Il passa son bras autour du cou de la blonde à côté de lui, et il lui enfourna la langue dans la bouche. Ils échangèrent un long baiser mouillé. Charlène détourna le regard.
On la bouscula. On s’excusa et s’éloigna comme si elle était pestiférée. Elle n’avait pourtant pas choisi sa situation.
Et la journée continua ainsi. Toutes les journées se déroulaient de la sorte depuis que son ventre avait commencé à se voir.
Elle rentra à pied le soir. Aussi seule que s’était passée sa journée. La table était déjà mise. Son père était assis. Il lisait le journal. Sa mère terminait les préparatifs du repas. Elle posa son sac et se mit à table. Pas un bonjour. Personne ne semblait l’avoir vue.
— Je suis allée voir madame Bertrand aujourd’hui. Figure-toi qu’elle a adopté un chien. Un chihuahua. Oh, je déteste ces bestioles. Ça aboie sans cesse, c’est pénible ! monologuait sa mère pendant que son père faisait semblant d’en avoir quelque chose à faire.
— J’ai vu Patrice, interrompit Charlène.
Son père baissa son journal et posa les yeux sur sa fille pour la première fois de la soirée. Sa mère ferma la bouche et s’assit avec précaution.
— Il a fait comme si je n’existais pas. Comme tous les autres.
Son père s’en retourna à son journal.
— Tu sais que c’est pour ton bien que nous en avons informé le lycée.
— C’est aussi pour mon bien que le lycée l’a dit à tout le monde ?
— Que tu le croies ou non, c’est le cas.
— Alors pourquoi je me retrouve toute seule ?
Sa mère s’en retourna à ses casseroles. Charlène tapa du poing sur la table, faisant sursauter ses parents. Elle répéta, en colère :
— Pourquoi je me retrouve toute seule ?
Sa mère, voyant qu’il lui fallait une réponse, hésita, puis finit par lâcher dans un soupir :
— Les gens ne savent pas gérer ta situation.
— Parce que moi je sais ? Vous croyez qu’on m’a donné un mode d’emploi ? Je suis aussi perdue que tout le monde, mais moi, en plus, je suis toute seule pour affronter ça !
— Et Mary-Lou et Gladys ?
Un nouveau silence s’installa. Mary-Lou, c’était la blonde qui échangeait ses fluides avec Patrice. Gladys n’était pas loin derrière.
Charlène hésita longuement. Elle sortit enfin :
— Mary-Lou connaît bien le goût de la luette de Patrice.
Sa mère prit l’air choqué. Elle servit son assiette, celle de son père et la sienne.
Le repas se déroula dans le silence le plus absolu.
Lorsqu’elle retourna dans sa chambre, elle consulta ses messages sur internet.
« Alors la grosse ? »
« Ton polichinelle, il est de qui ? »
« Fille facile, bébé vite arrivé ».
Comment pouvaient-ils se tromper à ce point ? Le lycée avait eu beau donner la vraie raison de son état, la rumeur avait agi plus rapidement et personne n’y avait cru.
Elle feuilleta les demandes d’inscription pour l’Université. Y irait-elle ? Avait-elle un avenir avec ce qui lui arrivait ?
Elle alla se coucher, le cœur et le ventre lourds.
Une année passa. Charlène avait réussi ses examens et son problème faisait partie du passé. Elle avait intégré une université prestigieuse. Elle avait travaillé très dur lorsqu’elle était alitée pour y entrer. Dans ce nouveau bahut, personne ne savait qui elle était et ce qu’elle avait traversé. Et c’est ce que Charlène préférait.
Elle se leva, ce matin-là, le sourire aux lèvres. Elle enfila ce jeans qui ne lui allait pas quelque temps auparavant, et un petit haut qui lui laissait une épaule apparente.
Elle alla prendre son petit déjeuner. Il n’y avait personne. Son père travaillait déjà. Un pleur de bébé sortit de l’étage. Charlène l’ignora.
— Tu peux préparer un biberon ? cria la voix de sa mère.
À nouveau, Charlène l’ignora.
Elle remonta dans sa chambre. Dans l’escalier, elle croisa sa mère qui lui demandait par le regard pourquoi elle ne l’aidait pas. Charlène l’ignora royalement.
Elle passa à la salle de bain, se maquilla, se coiffa et se contempla. Quelques gouttes de parfum et elle attrapa son sac et sorti alors que sa mère se démenait pour faire un biberon avec le bébé qui hurlait dans ses bras.
Pas d’au revoir. La mère soupira.
À l’Université, Charlène retrouva deux amies. Elles parlèrent du temps qu’il faisait, des garçons, de la vie.
Le regard de Charlène se posa sur un jeune homme. Il lui sourit. Elle le lui rendit.
— Tu vas lui demander de sortir avec toi ? demanda l’une de ses amies.
— Non. Il n’a qu’à venir.
— De toute façon, c’est sûr qu’il te demandera.
— Pourquoi ?
— Parce que t’as qui tu veux. T’as vu comme t’es belle ? Je suis trop jalouse !
Charlène sourit et haussa les épaules. En réalité, elle jubilait. Sa dernière année avait été si difficile qu’elle avait bien le droit de profiter de sa jeunesse maintenant.
14 heures, elle avait une heure de libre. Le garçon l’aborda.
— Dis-moi, ça te dirait de…
— Tu as ce qu’il faut ?
— Ô… oui, balbutia le jeune homme.
— On peut aller dans les vestiaires. À cette heure-ci, il n’y a personne.
Ils s’attrapèrent par la main et s’éloignèrent sans plus de cérémonie. À présent, elle se protégeait et profitait de sa vie.
Lorsqu’elle se rhabilla, le garçon la caressa tendrement.
— Écoute, je veux pas savoir comment tu t’appelles, commença Charlène d’un ton ferme. On s’est bien amusés, mais maintenant c’est terminé. On ne va pas devenir amis. On ne va pas se fréquenter. Tu vas reprendre ta route, et moi, la mienne. Et je te conseille de ne parler à personne de ce qu’on a fait ou je raconte à tout le monde que tu en as une toute petite.
Il resta sans voix.
Elle hocha la tête et sortit des vestiaires. Ses amies la retrouvèrent dans un café où elles avaient l’habitude de se croiser.
— Alors ?
— Pas mal.
— Toi alors ! Comment tu fais pour te faire autant de garçons en gardant ta réputation ?
— Le talent, fit Charlène avec un clin d’œil.
Lorsqu’il fut l’heure de rentrer chez elle, Charlène traina les pieds. Elle arriva. Son père était attablé, lisant son journal. Sa mère préparait à manger pour eux et pour le bébé qui pleurait toujours.
En la voyant, sa mère la héla :
— Charlène, mets la table s’il te plait.
Elle ne bougea pas.
— Aide-moi !
— Tu m’as aidée, toi ?
Sa mère leva les yeux au ciel. Encore cette conversation. Elles avaient beau l’avoir régulièrement, Charlène revenait toujours à la charge.
— J’ai fait ce que j’ai pu.
— Ce n’était pas assez.
— Écoute, on vient d’avoir un bébé, tout le monde doit aider.
— Non, maman. TU as eu un bébé. Moi, j’ai eu un cancer. Une satanée tumeur qui grossissait dans mon ventre et qu’on m’a enlevée. J’ai subi les rumeurs qui disaient que j’étais enceinte alors que c’était toi. Tu as couché avec mon copain. Tu as trompé papa. Et c’est moi qui en ai souffert. Bien sûr, il ne me l’a avoué que quand j’ai perdu ma virginité avec lui. Et puis il m’a laissé tomber comme une vieille chaussette parce qu’il était amoureux de toi. J’ai perdu mes amies. Et ceux qui croyaient l’Administration qui avait bien prévenu tout le monde que j’avais un cancer, ils me regardaient comme si j’étais contagieuse. J’ai vécu un enfer pendant un an. Aujourd’hui, je profite de ma vie. Parce que je ne sais pas quand cette saloperie va m’emporter. C’est ça qu’il y a de plus beau dans toute cette histoire. Il a fallu que je métastase. Alors tu vois, TON bébé, c’est le cadet de mes soucis. J’ai pas faim, mangez sans moi.
Elle monta dans sa chambre quatre à quatre. Son père s’était contenté de lire son journal pendant tout le monologue. Il n’avait pas réagi. Il restait pour le bébé, mais avait perdu tout espoir.
Quelques années plus tard, Charlène mourut. Mais, que peut-on dire d’une fille de vingt-cinq ans qui vient de mourir ?
Conclusion
L’aviez vous remarqué ? J’ai placé une petite référence à un film, qui date un peu, que j’adore. Saurez-vous le reconnaitre ? L’avez-vous déjà vu ? Dites le moi en commentaire.
Si vous voulez me suivre, vous pouvez le faire sur
Je ne suis pas extrêment active en ce moment, mais je reprend du poil de la bête et je reviens petit à petit en force sur les réseaux sociaux.
Vous pouvez aussi lire l’histoire de la semaine dernière.
Quoi qu’il en soit, je vous dit à samedi prochain !
Je trouve que tu as bien réussi l’exercice de la balle jaune ! Je ne savais pas si Charlène était la gentille ou la méchante de l’histoire, des éléments penchaient des deux côtés. Quant à son père, j’étais très loin de m’imaginer son calvaire. Une triste histoire de la vie très bien racontée T-T